Michel NAVRATIL

(12-06-1908 - 30-01-2001)


J'ai gardé du naufrage du Titanic, où mon père a trouvé la mort, un souvenir extrêmement précis. Mon père était âgé de 32 ans, mon frère (Louis) venait d'avoir 2 ans, j'avais moi-même presque atteint l'âge de 4 ans. Ma mère était restée à Nice qui avait été jusque là notre lieu de résidence.

Au milieu de la nuit du naufrage, dans la cabine où mon frère et moi dormions sur des couchettes, mon père nous réveilla tous deux. Je le vois encore debout près de notre couchette, accompagné d'un homme que je ne connaissais pas, sans doute un passager dont il avait demandé l'aide.

Mon père m'emmena dans ses bras, son compagnon prit de la même façon mon frère avec lui, ils nous placèrent mon frère et moi dans une chaloupe suspendue au bord du pont du navire. Plusieurs femmes s'y trouvaient déjà assises. A ce moment, mon père me chargea de transmettre à ma mère quelques mots affectueux, et il me dit adieu. Naturellement, je ne me doutais pas qu'il allait mourir.

J'entends encore le bruit que fit le canot au moment où, ayant été descendu du navire, il atteignit la mer. Je me souviens aussi des instants où il s'éloigna du navire dans la nuit noire. Je m'endormi assez vite. Je me réveillais à l'aube et j'aperçu au loin sur la mer blanchâtre un paquebot, c'était le Carpathia.

Mon dernier souvenir est celui de mon sauvetage par le Carpathia : on m'avait placé dans un sac qui fut hissé le long de la coque du navire. Je ne connais la suite que par ce qui m'en a été dit.

Une jeune fille américaine, Miss HAYES, avait été sauvée sur le même canot que nous. C'est elle qui sur le Carpathia, s'occupa de mon frère et moi jusqu'à notre arrivée aux États-Unis. Sur le Carpathia, elle fit connaissance de Mme Eleanor WIDENER qui venait de perdre dans le naufrage son mari et son fils aîné.

Mme Eleanor WIDENER lui dit que comme sa nièce, Mme TYLER parlait le français et aimait beaucoup la France, il lui semblait souhaitable que nous fussions recueillis par Mme TYLER qui habitait aux environs de Philadelphie. La mission de secours à New York décida donc en fin de compte, de nous confier à Mme TYLER qui nous reçut comme si nous avions été ses enfants.

C'est chez Mme TYLER que ma mère vint nous chercher, et elle nous ramena à Nice. J'ai pu transmettre à ma mère les mots affectueux de mon père. Je puis d'autant moins oublier tout ce que je dois à mon père et à ma mère. Je n'oublie pas non plus ce que je dois à mes amis d'Amérique qui ont prit tant de soins de mon frère et de moi-même.



Interview enrégistré et filmé au Musée de la Marine du Palais de Chaillot à Paris le 06 octobre I982 en collaboration avec R.T.L.
Voir également le livre Les Enfants du Titanic écrit par sa fille Élisabeth BOUILLON.


Bulletin de l'A.F.P. (Agence France Presse) du 31 janvier 2001 :

Mort du professeur Michel NAVRATIL, philosophe et rescapé du Titanic.

Le philosophe Michel NAVRATIL, professeur honoraire de psychologie à l'université de Montpellier, survivant du naufrage du Titanic, est mort mardi d'un arrêt cardiaque dans sa 93ème année, a annoncé sa fille mercredi.

Michel NAVRATIL, né à Nice le 12 juin 1908, avait été embarqué par son père avec son frère à bord du Titanic, sous un faux nom parce que les parents étaient en train de se séparer.
Les petits NAVRATIL et leur père étaient devenus HOFFMAN et devaient rejoindre une partie de la famille, d'origine Tchèque, déjà installée aux États-Unis.

Après la mort du père dans le naufrage, les deux enfants "Lolo et Momon" (pour Michel et Edmond) étaient restés aux États-Unis pendant 3 semaines, chez la jeune femme qui les avait pris sous sa protection à bord du canot de sauvetage, avant que leur famille ne réalise leur identité.
La photo des deux enfants rescapés avait alors fait le tour du monde et leur mère, restée à Nice, avait reconnu ses fils. Elle eut du mal à faire la preuve de leur lien de parenté. Elle alla les chercher et les ramena en France.



Michel NAVRATIL était le dernier survivant masculin du naufrage, survenu le 15 avril 1912 (1.480 morts, 706 survivants). Il avait alors presque 4 ans. Il resterait encore au moins une survivante au États-Unis.

Le jeune rescapé a été reçu en 1928 à l'École normale supérieure et en 1934 à l'agrégation de philosophie. Il a écrit sa thèse sur "les tendances constitutives de la pensée vivante" et selon sa fille l'expérience de la mort dans sa petite enfance a déterminé les engagements ultérieurs de sa vie et sa carrière.

Quand il racontait le naufrage, il se rappelait que leur père était venu les chercher dans la cabine, qu'on les avais mis dans un canot. "On nous a confiés à une jolie Américaine, Miss HAYES, j'ai cru qu'on partait en promenade.
Je me souviens du «plouf» du canot dans l'eau. Je me suis endormi dans le canot. Je me suis réveillé à l'aube (...) Notre barque tournait le dos aux icebergs. Je ne les ai pas vus. Sur le Carpathia, le navire qui nous a sauvés, je me souviens seulement de mon indigestion", avait-il raconté" en 1996 dans une interview à Libération.

Le père de Michel NAVRATIL a été enterré à Halifax (Canada) sous son faux nom de HOFFMAN. "Momon" (Edmond) le petit frère de Michel, est mort à l'âge de 40 ans.
Le philosophe s'est marié et selon sa fille Élisabeth BOUILLON, il était un "croyant épicurien". "Il s'est adapté à tout, raconte-t-elle, il a toujours su reconstituer son propre monde philosophique qui l'a protégé et épargné.
Nous, mon frère, ma soeur et moi, savons que le Titanic a joué un rôle fondamental dans la construction de sa personnalité. Avoir été si tôt confronté à une tragédie lui a donné une immense force de vie. Mon père a toujours été maître des événements".



Bien qu'il n'en ait pas beaucoup parlé, le professeur Michel NAVRATIL, rescapé du naufrage du Titanic, n'est jamais parvenu, au cours de sa longue vie, à enfouir complètement dans sa mémoire les souvenirs de la tragédie.
Mort dans sa quatre-vingt-treizième année, le 30 janvier 2001, il aura eu l'occasion de revoir des fantômes, rappelés du passé par le succès phénoménal du film de James CAMERON et la découverte de l'épave-tombeau dans les eaux glacées de l'Atlantique nord.

Mille cinq cent trois victimes, sept cent treize survivants ; de toutes ces vies qui se jouèrent tragiquement dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, au large de Terre-Neuve, la sienne, parmi quelques autres, semblait déjà marquée par le destin.

Cet enfant de quatre ans et son frère Edmond, deux ans, ont en effet été ravis à leur mère, dans la région niçoise. Leur père, qui les emmène rejoindre des membres de sa famille, d'origine tchèque, aux États-Unis, s'est inscrit sur la liste des passagers sous le nom d'HOFFMAN.
Il disparaîtra au cours du naufrage, après avoir confié ses fils à une jeune Américaine. Leur mère ne les retrouvera que trois semaines plus tard, grâce aux photos parues dans la presse...
La tombe du père est toujours à Halifax (Canada), sous le faux nom d'HOFFMAN, et Edmond est mort à l'âge de quarante ans.

Mais Michel NAVRATIL, philosophe, professeur honoraire de psychologie à l'université de Montpellier,a eu trois enfants et, on peut le penser, une belle vie.
Désormais, il ne reste plus que quatre survivantes du naufrage, deux Britanniques et deux Américaines, derniers liens directs avec une tragédie d'un temps révolu.


Il y avait 52 Français sur le paquebot.


Membres d'équipage ou passagers, cinquante-deux Français avaient embarqué à bord du Titanic.
Employés du restaurant français, musicien, passagers de marque, comme le sculpteur Paul CHEVRÉ, ou simples voyageurs de troisième classe, comme la famille LEFEVRE, la plupart ont péri dans le naufrage. A l'époque, le Président Armand FALLIERES présenta ses condoléances aux Américains et aux Anglais, mais il oublia ses compatriotes.

Articles de J.B. - Télé Loisir N° 782 (24 février au 02 mars 2001).