France-Soir
France-Soir WEEK-END
Samedi 23 août 1980

Depuis 68 ans, le navire gît par 4.000 mètres de fond au large d'un banc de Terre-neuve.

RETROUVER
LE " TITANIC "

Deux équipes - britannique et américaine - s'affrontent avec des moyens considérables.

L'épave du " Titanic " doit se trouver au large de Terre-Neuve, dans une zone de trente kilomètres environ sur cinquante.

Dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, le " Titanic ", orgueil de la White Star Line, réputé insubmersible, coule à sa première transatlantique. La dimension du drame a inspiré au dessinateur cette image grandiose.

Depuis l'annonce du retour au port de Boston ces jours prochains du navire "H.J.W. Fay", affrété spécialement pour la recherche du paquebot britannique " Titanic ", coulé par plus de 4000 mètres de fond au large de Terre-Neuve il y a soixante-huit ans, l'affrontement sans merci que se livrent deux équipes rivales est entré dans une phase critique. Leur but : retrouver (c'est peut-être fait), identifier, filmer, et si possible, renflouer l'épave la plus convoitée du monde, lourde de 50.000 tonnes, longue de 300 mètres, haute comme un building de vingt étages.
Un fabuleux pactole a sombré dans ses flancs jusqu'au plus profond de l'Atlantique. Suffisant pour exciter mille convoitises. Les derniers en date se sont lancés dans l'aventure avec les moyens les plus perfectionnés de la technique moderne. Entre la société du milliardaire texan Jack Grimm et la bande de copains de John Grattan, distingué commandant en retraite de la prestigieuse Royal Navy, c'est la lutte. Une lutte sournoise.

Yvon SAMUEL

"On n'a peut-être pas trouvé le Titanic, mais peut-être bien qu'on n'en est pas loin." Cette affirmation de Normand est pourtant due à un pur Yankee. Jack Grimm, 54 ans, le front dégarni auréolé d'une fine chevelure blanche, l'oeil affûté sous d'épais sourcils noirs, a fait fortune dans le pétrole. Personnage tout droit tiré de Géant, le célèbre film de James Dean, il dirige la Grimm Oil Company depuis son bureau d'Abilène Texas situé au troisième étage de l'immeuble de la First National Bank. "Plus près de l'endroit ou se trouve l'argent", dira-t-il en riant.

J. Grattan a une certitude : les pendules du Titanic n'étaient pas à l'heure. Avec D. Berwin et E. Smith, ils forment l'équipe anglaise, sûre de devancer les américains.

John Grattan à gauche, et Dereck Berwin à droite.

Il a beau regarder loin par dessus les building du quartier des affaires, il ne voit pas la mer. La plage la plus proche sur le golfe du Mexique est au moins à cinq cents kilomètres de là vers le sud. Or, c'est dans le sens opposé du continent américain qu'une tranche sous-marine de l'Atlantique le passionne : au large de Terre-Neuve, une bande de trente kilomètres sur cinquante, à quelque 4000 à 5000 mètres de profondeur, où peut se trouver l'épave la plus célèbre du monde, celle du Titanic, disparu corps et biens au cours de sa première traversée transatlantique, en avril 1912. Jack Grimm est le sponsor le financier depuis le début de l'année seulement, d'une société International Expeditions Inc qui se consacre à la recherche de la carcasse du bateau. L'idée l'a enthousiasmé. Il est vrai qu'il n'en est pas à son coup d'essais. Il a déjà financé un projet pour retrouver le site de l'arche de Noé : négatif. Il a fait exécuter une série de vues aériennes du Loch Ness en Écosse, pour retrouver le monstre légendaire : en vain. Cette fois, il exulte.

"Notre navire de recherche que je viens de joindre par radio-téléphone, rentre au port de Boston. Avec, relevés par nos instruments de mesures, au moins deux ou trois cibles (le milliardaire répètera plusieurs fois le mot anglais "target") qui pourraient correspondre au profil du paquebot coulé. Il s'agit peut-être de formations rocheuses. Il est fort possible aussi qu'il s'agisse bel et bien du Titanic. Le décodage des renseignements recueillis au sonar tranchera." Il sera en cours dès la semaine prochaine. L'entreprise est de taille. Le combat risque de l'être aussi.

300 millions
de dollars en diamants

BOSTON
Jack Grimm, le millionnaire texan qui a déjà dépensé deux millions de dollars pour retrouver le Titanic, est prêt à investir trois autres millions pour remonter le coffre qui se trouve dans le bureau du commissaire de bord.
Il estime en effet que des diamants pour une valeur (de l'époque) de 125 millions de dollars ont été déposés dans ce coffre : leur valeur actuelle serait de 100 millions de dollars. M. Grimm a déposé une demande de propriété du navire englouti. A 54 ans, il participera l'été prochain à la plongée de l'Aluminaut dont les bras automatiques découperont la coque du Titanic.

Face à face

Car International Expeditions Inc, la compagnie commanditée par Grimm, qui a armé pour la recherche un bateau de soixante mètres, le H.J.W. Fay avec trois techniciens à bord, a un concurrent de taille. A 5000 mètres sous les mers, c'est une bataille digne de Jules Vernes qui se livre, dont les épisodes se déroulent aussi bien dans les bas-fonds des ports de la côte américaine, que dans les rues austères de la City, le quartier boursier de Londres, ou la Chambre des Députés Japonaise. Le face à face a déjà commencé.

D'un côté le traîneau tracté à deux cents mètres sous la surface, super équipé d'un sonar et d'un magnétomètre (je vous passe les mille détails techniques) qui balaie de ses ondes répercutées par le fond les 1500 kilomètres carrés, ou les savants américains dirigés par le géophysicien William Ryan, ont calculé que devait se trouver le paquebot. Réponse bientôt, au retour du Fay à Boston.

Le chef de l'expédition est formel : "Nous avons reçu au sonar des échos donnant une image de la même longueur, de la même largeur, et de la même hauteur que le Titanic". Mais Jack Grimm, on l'a vu, préfère wait and see (attendre et voir, selon la fameuse devise anglo-saxonne).

De l'autre, le cerveau. On pourrait l'imaginer tout droit sorti d'un roman de Melville. Le commandant John Grattan a été pendant un quart de siècle un des fleurons de la Royal Navy. Spécialiste des reliefs sous-marins, il a participé à de nombreuses opérations de renflouage de matériels divers gisant au fond des mers.
"J'étais à l'époque, raconte-t-il, considéré comme un type bizarre, car dans la Navy un gentleman ne plonge pas; çà ne se fait pas, shocking".

Il y a quelques mois, il s'est rendu discrètement au siège de sa banque, et a loué un coffre où il a placé une simple feuille de papier, noircie de quelques chiffres. Ce document mis au secret, c'est selon lui, l'emplacement exact du Titanic, au large de Terre-Neuve. "Ce n'est pas l'endroit où l'on a toujours cru que le paquebot avait coulé", dit-il. Soit officiellement par 41° 16' de latitude nord, 50° 4' de longitude ouest. Mike Harris lui, l'aurait situé par 41° 24' et 50° 14'. Mince variation dont John Grattan n'a que faire : lui, base sa conviction sur deux faits, déduits de l'étude approfondie de tous les documents existants sur le naufrage du Ritz des Océans, comme l'avait lyriquement appelé l'écrivain polono-britannique Joseph Conrad.

Tout d'abord, le Carpathia, un petit paquebot qui se porta le premier au secours des rescapés, n'aurait pu arriver à temps à cette position officielle, malgré la vitesse de ses machines et l'adresse de son pacha qui furent hautement vantées à l'époque. "La navigation difficile entre les icebergs et le sauvetage des premières embarcations des survivants, note le commandant Grattan, n'auraient jamais permis au Carpathia de se trouver au point signalé comme celui du drame. Donc, ce point était erroné".

D'ou une deuxième conclusion du commandant fureteur : "Pour expliquer cette erreur, il y a une raison tellement simple, tellement évidente, qu'elle est passée inaperçue aux yeux des enquêteurs qui se sont penchés pendant de longues années sur les circonstances de la tragédie du Titanic : l'heure sur le navire, était retardée chaque soir pour compenser sans heurt pour les 1316 passagers, le décalage horaire obligatoire de la traversée de l'Atlantique.

Ce soir-là, dans l'affolement de la collision avec l'iceberg, on n'a pas retardé les pendules du bord, et tous les calculs en ont été faussés : le Titanic n'a pas parcouru la distance qu'on a estimée. Il s'en faut de cette fameuse demi-heure".

Pourquoi pas ? Une chose est certaine, c'est que pour sa propre expédition, John Grattan n'envisage pas une seconde le balayage du fond de l'océan à l'américaine. Il a bien l'intention de mettre le doigt sur la surface de la mer brisée par les longues houles atlantiques, de dire : "c'est là !", et d'envoyer les moyens techniques de repérage sous-marin.

Il fonde tous ses espoirs sur l'impossible tâche du H.J.W Fay, sur le peu de chances qu'il reste à l'expédition américaine de prouver sa découverte. Selon les anglais, c'est une question de temps. S'il ne trouve pas cette année, m'a dit le porte-parole de Grattan, publicitaire à Bruxelles, Grimm est fini.

Edward John Smith, qui porte le même nom, courant il est vrai dans les pays anglo-saxons, mais aussi le même prénom que le capitaine du Titanic englouti avec son navire, à la quarantaine solide d'un ancien rugbyman et la barbe hirsute du méchant marin qui s'oppose toujours à Popeye dans les célèbres dessins animés. Il arbore aussi un sourire permanent : "Ce sont des mois qu'il faudrait aux autres pour ratisser la zone du naufrage. Or, l'an prochain, ce sera trop tard pour eux. Nous serons sur l'épave."