NORMANDIE / USS LAFAYETTE

Compagnie Générale Transatlantique - Transat - French Line


Longueur : ± 313.75 Mètres
Largeur : ± 36.40 Mètres
Tonnage : 70171 Tonnes
Vitesse : ± 32 Noeuds
Construction : 26 Janvier 1931
Lancement : 29 Octobre 1932
Voyage inaugural : 29 Mai 1935
Fin de service : 09 Février 1942
Raison : Incendie
Statut : Démolit en 1946
Passagers de 1ère classe : ??? |
Passagers de 2ème classe : ??? | Total 1850
Passagers de 3ème classe : ??? |
Membres d'équipage : 1345


En 1912, lorsque la Compagnie Générale Transatlantique lance le France, elle signe avec l'État une convention prévoyant la mise en service de trois autres navires d'ici 1932. C'est sans compter sur la Première Guerre mondiale qui retarde sérieusement ces plans. Le deuxième navire, le Paris, n'arrive en service qu'en 1921 et le troisième, l’Île-de-France en 1927. Le Normandie est donc conçu, bien qu'en retard, dans la continuité de ce programme. La fin des années 1920 voit par ailleurs la marine Britannique céder du terrain face à l'Allemagne qui se relève de la guerre avec le Bremen et le Europa qui remportent le Ruban bleu.

La Compagnie Générale Transatlantique termine l'année 1928 sur un bilan très positif, l’Île-de-France est un paquebot très populaire et les bénéfices sont au rendez-vous. Suivant l'exemple des compagnies Britanniques White Star Line et Cunard Line qui projettent de construire deux grands navires pour renouveler leur flotte, le président de la Transat, John Dal Piaz, envisage la construction d'un nouveau navire à la fois grand et rapide. Aux aspects économiques s'ajoute un motif symbolique : la construction de ce navire doit perpétuer l'image d'une France victorieuse et audacieuse dans un contexte de crise.

Le projet se concrétise rapidement : dès 1929, les chantiers de Penhoët, à Saint-Nazaire, entament des travaux pour permettre de construire ce qui apparaît alors comme un « super Île-de-France ». Dans le même temps, des études sont menées pour établir le profil du nouveau paquebot : il doit être rapide pour effectuer un maximum de traversées et donc être plus rentable. Il doit aussi pouvoir transporter plus de passagers que les autres navires de la compagnie, ce qui implique une taille imposante. La coque est conçue par le Russe Vladimir Yourkevitch, au grand dam des ingénieurs Français qui tentent de minimiser son rôle. Des essais en bassin avec une maquette ont lieu en 1929 et 1930, et l'avis des chantiers allemands Blohm & Voss (constructeurs du Europa) est sollicité. Le 29 octobre 1930, la Compagnie Générale Transatlantique passe commande du navire aux chantiers pour un prix de 700 millions de francs. Cependant, la véritable lettre de commande n'est signée que le 6 avril 1932, bien après le début de la construction.

Les travaux débutent le 26 janvier 1931 dans les chantiers de Penhoët à Saint-Nazaire en présence d'invités de marque. Le projet porte alors le nom de « T6 » donné par les constructeurs. Dans le même temps, les chantiers se dotent d'une cale sèche, la forme Joubert, de taille suffisante pour accueillir la coque lorsqu'elle sera terminée. La Compagnie Générale Transatlantique connaît cependant avec la crise de 1929 de graves difficultés financières. À partir de 1930, elle doit faire appel à l'État par le biais d'emprunts, puis se retrouve finalement sous sa tutelle à partir du 22 juin 1931. Ainsi, la construction du paquebot peut se poursuivre. À plusieurs reprises, il est question de l'interrompre : la White Star Line et la Cunard Line ont déjà fait de même avec leurs Oceanic et Queen Mary. Cependant, l'administrateur directeur général de la Transat, Henri Cangardel, s'échine à mettre en valeur les avantages que le navire pourrait apporter à la France, et parvient à maintenir le projet sur les rails.

En avril 1932, la commande est confirmée, affirmant la volonté des constructeurs de voir leur navire achevé. C'est à cette période que la Transat s'interroge finalement sur le nom à donner à son bateau amiral. L'appellation Président Paul-Doumer est proposée par le ministre de la Marine Marchande en hommage à Paul Doumer, Président de la République assassiné la même année. Cependant, Henri Cangardel et d'autres responsables de la compagnie s'opposent à ce nom, qui, prononcé à l'anglaise, se rapproche de doomed (« maudit »). Le 18 octobre, le nom de Normandie est finalement choisi par le conseil d'administration sur proposition d'Henri Cangardel. Il avait déjà fait ses preuves sur un navire de la fin du siècle précédent, et rappelle la tradition qu'a la compagnie de donner à ses navires le nom de provinces françaises.

À la même époque, la coque du paquebot est achevée. Le navire est prêt à être lancé le 29 octobre 1932, devant une foule de plus de 200 000 personnes. Le président Albert Lebrun prononce un discours à la gloire de la construction navale française, puis son épouse Marguerite, marraine du navire, brise la traditionnelle bouteille de champagne sur son étrave. Le Normandie est ensuite lancé sans problème.

La construction est cependant loin d'être terminée. Le paquebot maintenant à flot doit recevoir ses équipements et aménagements, et est remorqué dans un bassin prévu à cet effet où il séjourne près de quarante mois. Le voyage inaugural du paquebot est en effet prévu pour 1934, mais un événement imprévu repousse l'échéance. L'Atlantique, fleuron de la Compagnie Sud Atlantique a été victime d'un grave incendie à la mer et a coulé le 3 janvier 1933. Les officiels de la compagnie décident de faire en sorte que leur nouveau navire soit bien protégé contre le feu, et celui-ci est donc équipé de nouveaux dispositifs à cet effet. Ceci fait que la traversée inaugurale est repoussée à 1935. Les machines sont installées durant l'été 1933, et les cheminées et mâts sont placés l'été suivant. En septembre 1934, la Transat annonce que le voyage inaugural aura lieu fin mai 1935 : elle permet ainsi à son navire de bénéficier de quelques mois de tranquillité avant l'arrivée du Queen Mary, dont la construction a repris au pas de course.

Avec l'achèvement du navire vient le moment de lui affecter un équipage. Pour commander son tout nouveau navire, la compagnie choisit une solution originale. Elle désigne en effet son capitaine au long cours le plus expérimenté, René Pugnet, mais comme celui-ci doit partir à la retraite l'année suivante, un commandant adjoint, Pierre Thoreux se forme à ses côtés, avant de lui succéder à la passerelle du Normandie. Les travaux se finissent à un rythme soutenu pour que le navire puisse effectuer ses essais début mai. Les chantiers de Penhoët doivent faire face à une grève, mais réussissent à tenir les délais.

Comme de coutume au sein des chantiers de Penhoët, deux périodes d'essais à la mer sont prévues pour évaluer les performances du navire. Cependant, les retards dans la construction s'accumulent, et il est impossible de repousser le voyage inaugural. Les chantiers prennent donc la décision de réunir en une seule les deux périodes. Par ailleurs, le paquebot partira ensuite directement pour Le Havre sans repasser à Saint-Nazaire comme c'était prévu. Enfin, une décision choque : des journalistes seront présents à bord durant les essais, au grand dam de son état-major.

Le 5 mai 1935, le Normandie appareille pour effectuer ses premiers essais sur la base de vitesse des Glénan. Ceux-ci se déroulent jusqu'au 11. En plus des journalistes et de l'équipage, sont présents à bord des ouvriers chargés de terminer certaines installations en vue de la traversée inaugurale. Les essais se montrent fort concluants. La vitesse de 32 nœuds est dépassée. Elle fait du Normandie le premier prétendant Français crédible au très convoité Ruban bleu. En avant toute à 30 nœuds, le Normandie casse son erre en seulement 1 700 mètres, soit moins de six longueurs de coque. Un seul problème vient noircir le tableau : à grande vitesse, les hélices créent des vibrations très fortes sur le tiers arrière du Normandie. Certaines installations de troisième classe, de classe touriste et même de première sont de fait rendues inconfortables dans ces conditions.

Un événement satisfait particulièrement les dirigeants de la compagnie : lors du passage du raz de Sein, le commandant met la barre toute d'un bord : le paquebot gite fortement, mais se redresse rapidement sans plus de dégâts qu'un peu de vaisselle brisée, témoignant de sa grande stabilité. Le Normandie s'amarre au quai au port du Havre le 11 mai au soir. Le commandant René Pugnet se permet même l'audace de manœuvrer sans remorqueurs. Le port a par ailleurs fait l'objet de travaux depuis 1931, pour pouvoir accueillir le nouveau fleuron de la Transat.

Quelques jours après son arrivée au Havre, le Normandie est victime d'une grève des équipages des paquebots de la Compagnie Générale Transatlantique, fortement condamnée par le gouvernement qui parvient finalement à négocier un retour au travail. Le 23 mai est organisé à bord du paquebot un dîner d'apparat d'un millier de convives avec en invité d'honneur le Président Albert Lebrun. Après les festivités qui se poursuivent dans les salons de première classe, les invités de marque sont hébergés dans certaines des cabines (parfois inachevées) du navire, les autres dormant à bord du Paris. Albert Lebrun modifie pour sa part son programme et demande à dormir dans un des appartements de luxe du Normandie plutôt qu'à l'hôtel où il devait rejoindre son épouse. Les festivités n'en sont pas pour autant terminées : dans les jours qui suivent, les journalistes continuent à visiter le navire, et une soirée de charité est organisée. Le 27 mai, le Cardinal Verdier et Monseigneur de La Villerabel consacrent la chapelle du navire.

Le mercredi 29 mai 1935, jour du départ, c'est la panique : une panne électrique frappe le navire, faisant craindre au directeur général de la compagnie, Henri Cangardel, une opération de sabotage. Il n'en est rien, cependant : le problème, dû à une entrée d'eau, est rapidement résolu. Vers 18 h 30, le Normandie appareille devant une foule immense. À bord, on dénombre un peu plus de 1 000 passagers, en tête desquels se trouve Marguerite Lebrun, épouse du Président et marraine du navire, accompagnée de sa fille et de sa belle-fille. Ce ne sont pas les seuls hôtes de marque du paquebot : nombre de personnalités participent à cette traversée. On y trouve ainsi l'écrivaine Colette, l'actrice Valentine Tessier, les duettistes Pills et Tabet, plusieurs nobles, ministres et sénateurs, deux académiciens Français et le Maharajah de Kapurthala. Enfin, les milieux maritimes ne sont pas en reste puisque les officiels de la Compagnie Générale Transatlantique et des chantiers de Penhoët sont présents, de même que le président de la Navigazione Generale Italiana, Antonio Cosulich.

Après une escale à Southampton, le Normandie franchit Bishop Rock dans la matinée du 30. C'est le repère officiel de départ pour l'attribution du Ruban bleu. Cette récompense qui est remise au navire ayant traversé l'Atlantique le plus rapidement est détenue alors par le paquebot Italien Rex. Si les officiels de la Transat refusent jusqu'au dernier moment de se prononcer sur leurs attentes quant à cette récompense, les pronostics vont bon train parmi les passagers pour savoir si le record sera battu. Une avarie sur un condenseur survenue deux jours après le départ force l'équipage à stopper l'un des moteurs ; le paquebot conserve cependant une vitesse moyenne de 28 nœuds et, une fois le problème réglé, réussit à repasser au-dessus des 30. Les passagers sont bien loin de ces préoccupations et se voient proposer nombre de divertissements. Le 30 au soir, une première mondiale de Pasteur, de Sacha Guitry est organisée. Le lendemain, le Café-Grill est inauguré par Madame Marguerite Lebrun dans une ambiance festive en dépit des fortes vibrations dans cette partie du navire.

Le Ruban bleu reste pour la compagnie un sujet tabou jusqu'au dernier jour : le commandant René Pugnet se voit même ordonner de ralentir, pour ne pas dépasser le bateau feu d'Ambrose (repère d'arrivée) avant 11 h 30 le 3 juin. Il n'en fait rien, et le navire arrive une demi-heure plus tôt. Avec une vitesse moyenne de 29,94 nœuds, le Normandie bat le record du Rex de 10 heures. Il devient le premier paquebot Français à remporter le Ruban bleu, et est le seul à avoir jamais reçu cette distinction. New York est en ébullition et les médias retransmettent la nouvelle tandis que les dîners de gala se succèdent. Le paquebot s'amarre au quai Pier 88, qui a été agrandi pour lui permettre de s'accoster.

Après sa traversée inaugurale, le Normandie fait encore 8 allers-retours entre Le Havre et New York. Le 28 octobre 1935, la saison s'achève. Pour instaurer un roulement, la Transat avait un temps envisagé de construire à son paquebot phare un sister-ship nommé Bretagne : ses autres navires ne sont en effet pas capables d'atteindre des vitesses aussi élevées, créant un déséquilibre. Cependant, ce projet ne voit jamais le jour. En revanche, de grandes modifications sont prévues pour le Normandie dès son premier hiver. Celles-ci ont avant tout pour but d'éliminer le problème des vibrations dans le tiers arrière. Ce problème est en effet loin d'être mineur car il endommage les tuyauteries et systèmes électriques du navire, et empêche les passagers de dormir. Après expérimentations, il est déterminé que le problème est dû aux hélices à trois pales du navire. Celles-ci sont remplacées par des hélices à quatre pales dont les mouvements se révèlent plus fluides dans l'eau.

D'autres modifications plus structurelles sont faites. La première concerne le salon des touristes : le précédent, au centre du navire, n'avait pas de sabords. Un nouveau est donc construit sur une esplanade à l'arrière du grill, qui était jusque là destinée aux passagers de première. La modification a un but double : ceci permet d'améliorer la qualité de vie de la classe touriste pour mieux concurrencer le Queen Mary sur le point d'entrer en service, et ces changements font passer la jauge du Normandie de 79 000 à 82 000 tjb : il dépasse ainsi son futur concurrent britannique et reste jusqu'à 1940 le plus gros paquebot jamais construit. D'autres installations sont modifiées, avec la création d'une chapelle pour la classe touriste et d'une synagogue. La forme de la passerelle de navigation est également modifiée, les ailerons de manœuvre courbes laissant place à des ailerons rectilignes.

Les changements prennent du temps : les nouvelles hélices n'arrivent en effet qu'en avril 1936. Elles remplissent très bien leur rôle cependant : à trente nœuds, le navire ne vibre plus. Le 5 mai, le Normandie est prêt à reprendre du service, lorsqu'une étrange nouvelle est rapportée au commandant : une des hélices bâbord a disparu. Aucune hélice à quatre pales n'est disponible pour la remplacer sur le moment, et la traversée ne peut être annulée. L'hélice et sa symétrique sont remplacées par des trois pales. La traversée a lieu, mais est à nouveau marquée par les vibrations. Le problème est réglé dès la traversée suivante, le 20 mai.

La saison 1936 débute avec l'arrivée d'un concurrent de taille : le Queen Mary, qui entre en service. Celui-ci n'est pas sans défauts puisqu'il affiche les mêmes problèmes de vibrations que son rival Français. Il s'impose cependant comme une valeur sûre de la Cunard Line. Le Normandie traverse pour sa part 30 fois l'Atlantique en 1936. Lorsque l'été survient, le capitaine au long cours René Pugnet prend sa retraite, laissant le commandement à Pierre Thoreux pendant trois ans. Peu avant, un incident peu commun s'est produit : en juin, un avion de la R.A.F., aveuglé par les fumées des cheminées du navire, s'écrase sur la plage avant. Les dégâts sont cependant minimes et le pilote s'en sort indemne. Lors de sa dernière traversée de la saison, le navire affronte une tempête violente sans subir de dégâts. Cependant, une ombre obscurcit ce tableau : durant l'été, le Queen Mary a remporté le Ruban bleu.

La Compagnie Générale Transatlantique refuse de laisser la récompense aux mains des Britanniques. Aussi le Normandie subit-il une nouvelle refonte durant l'hiver. Celle-ci touche avant tout ses machines dont la puissance est légèrement améliorée, et ses hélices : les nouvelles sont plus efficaces, et engendrent encore moins de vibrations. Lorsqu'il reprend du service en mars 1937, le Normandie reprend le Ruban bleu dès sa première traversée. Sur un plan commercial, le nombre de passagers augmente cette année-là, ce qui en fait une très bonne période pour la Transat.

1938 commence par une nouvelle mise sous les projecteurs du Normandie. Du 5 au 27 février, il cesse ses traversées transatlantiques pour une croisière d'agrément entre New York et Rio de Janeiro. La destination est en effet très prisée des Américains. Cette croisière est cependant aussi un véritable défi : elle implique une traversée plus longue et donc des problèmes d'approvisionnement en carburant, mais aussi en linge propre (des navires spéciaux sont affrétés pour porter du linge au paquebot). La croisière est un franc succès puisque la totalité des cabines de classe Cabine (ancienne Première classe) et une partie des cabines de classe Touriste sont occupées. On compte ainsi un millier de passagers : un record pour une croisière à l'époque. L'engouement médiatique est également très fort. À Rio, le Normandie, ouvert aux visiteurs, est envahi par des foules immenses au grand dam des passagers.

L'année 1938 voit également la 100e traversée du Normandie, qui perd également peu après définitivement le Ruban bleu face au Queen Mary. Le service du paquebot Français n'est troublé que par un important mouvement de grève en fin d'année, dans un contexte international qui se tend pourtant de plus en plus. En avril 1939, le navire part au Havre pour son entretien annuel. La guerre semble proche : les canots de sauvetage sont peints de couleurs vives pour être vus plus facilement en cas d'acte de guerre. Des craintes d'attentat sont également à l'ordre du jour. C'est alors que survient un drame pour la Transat : le Paris, accosté non loin, s'embrase et chavire le 18 avril. Il faut en découper les mâts pour que le Normandie puisse quitter son bassin de radoub. À la même époque, Pierre Thoreux quitte le commandement pour un poste logistique dans le port du Havre : ce choix n'est pas de son fait, mais sa longévité sur le navire amiral de la compagnie empêchait les autres commandants de recevoir de l'avancement. Son successeur est Étienne Payen de La Garanderie, qui est sur le point de devenir le dernier commandant du Normandie en service transatlantique.

Août 1939 voit s'approcher l'ombre de la Seconde Guerre mondiale ; la Transat décide de réduire la vitesse du Normandie afin qu'il ait suffisamment de carburant pour faire demi-tour en cas de déclaration de guerre pendant une traversée. Celle qui débute le 9 août marque un dernier temps de gloire : le réalisateur Yves Mirande tourne en effet à bord son film Paris-New York avec l'acteur Michel Simon. Après une nouvelle traversée vers la France, le Normandie entame son dernier voyage le 23 août dans un climat international très tendu. Le pacte Germano-Soviétique vient d'être signé et le conflit semble inévitable. Le paquebot tente en cours de route de semer le Bremen par crainte d'être signalé aux U-boots. Tout le reste de la traversée, les lumières du pont sont coupées, les rideaux fermés et le trafic radio cesse afin de rendre le navire indétectable.

Avec la déclaration de guerre le 3 septembre, il n'est plus question pour le Normandie de traverser l'Atlantique à la merci des sous-marins ennemis. Le 6 septembre, le navire est désarmé. Le 8, une grande partie de l'équipage (principalement le personnel hôtelier) est rapatriée en France. Le reste des hommes prépare le navire à son immobilisation, de façon à préserver mobilier et machines.

Pour l'équipage stationné aux États-Unis, la vie s'organise tant bien que mal : avec l'arrivée de l'hiver, la compagnie leur fournit quelques vêtements chauds, et les marins tentent de garder un lien avec leur famille. Cependant, avec la défaite de juin 1940, ce lien tend à disparaître. Par ailleurs, le 5 juin, Étienne Payen de la Garanderie rentre en France, laissant le commandement à Hervé Le Huédé, qui servait à bord depuis plusieurs années.

Son entrée dans le conflit semblant s'approcher, le gouvernement Américain commence à envisager de réquisitionner le Normandie pour en faire un transport de troupes. Avec l'instauration du régime de Vichy, les risques de sabotages s'accroissent pour le navire : un fidèle du gouvernement Français pourrait tenter de soustraire le navire à l'effort de guerre américain. Le 11 avril 1941, la prise de contrôle du paquebot est votée par le Congrès des États-Unis. Un détachement de Coast Guards embarque pour surveiller les actes de chaque membre d'équipage français pour éviter tout sabotage. Plus d'hommes sont appelés après l'attaque de Pearl Harbor, et le 11 décembre, les États-Unis prennent possession du Normandie en vertu du droit d'angarie. L'équipage Français est débarqué à l'exception des officiers et de cinq autres membres. Les protestations du commandant Le Huédé empêchent cependant les Américains de baisser le pavillon français, et les membres d'équipage sur le départ entonnent La Marseillaise, selon le récit du commandant.

Les nouveaux possesseurs du navire doivent encore l'apprivoiser : les plans circulent parmi les Coast Guards qui apprennent le fonctionnement du paquebot, tandis que le chef mécanicien aide à traduire les nombreuses inscriptions en Français. Vient également la question de savoir comment en faire usage : s'il semble au premier abord naturel de l'utiliser comme transport de troupes à l'instar des deux Queen britanniques, l'architecte naval William Francis Gibbs propose de le transformer en porte-avions et expose un projet détaillé qui n'est finalement pas retenu.

Les travaux débutent par l'évacuation du mobilier et de la décoration, à l'exception de ceux du théâtre, des lieux de culte et de deux appartements de luxe destinés aux officiels de haut rang : c'est grâce à cela que la décoration du paquebot a été préservée de la catastrophe qui doit le frapper l'année suivante. Le navire est réaménagé pour accueillir jusqu'à 16 000 hommes, et est renommé début 1942 USS Lafayette en hommage au Marquis de La Fayette et pour faire écho à l'histoire commune des États-Unis et de la France.

Le 9 février 1942, les travaux de réaménagement sont toujours en cours. L'opération du jour consiste notamment à retirer quatre grandes colonnes d'acier dans le grand salon, et nécessite un chalumeau. Ce jour là, le salon, bien que débarrassé de son mobilier et de ses décors, est rempli de milliers de paquets de gilets de sauvetage en kapok (matière très inflammable), qu'une équipe chargée de poser du linoléum déplace en permanence. Le découpage des deux premières colonnes se passe sans encombre, puis survient la pause déjeuner et la troisième est ensuite retirée. C'est lors de l'attaque de la quatrième que l'incident survient : une étincelle touche un des paquets de gilets, soit par maladresse du porteur du chalumeau, Clement Derrick, soit parce que l'assistant chargé de protéger les paquets avec un bouclier l'a retiré trop tôt. Plusieurs paquets s'embrasent rapidement, et les personnes présentes, tentant d'éloigner les paquets qui semblent indemnes, ne font qu'accélérer la propagation de l'incendie. De plus, aucun extincteur ne se trouvait dans le compartiment et les membres d'équipage chargés de lutter contre le feu ne sont pas prévenus à temps : il s'agit de toute façon d'hommes non formés, qui avaient bénéficié d'une promotion à un poste a priori tranquille.

L'incendie se propage rapidement au pont promenade, rempli de couchettes en toile, tandis que l'équipage, pris de panique, évacue le navire. Un quart d'heure après le début du sinistre, les secours sont appelés, à 14 h 49, et arrivent sur les lieux trois minutes plus tard. Le flot continu d'hommes évacuant le navire les empêche cependant d'embarquer. Par ailleurs, plus personne n'est présent pour faire fonctionner les systèmes de sécurité et l'électricité à bord. Le secours vient donc des bateaux-pompes qui projettent près de 6 000 tonnes d'eau sur le navire en feu. On dénombre quelques blessés dans la cohue, et un mort, Franck Trentacosta touché par un morceau d'acier projeté par une explosion. Par ailleurs, le concepteur du navire, Vladimir Yourkevitch se voit refuser l'accès sur les lieux du sinistre : il aurait pourtant pu indiquer comment maintenir le paquebot à flots malgré la carène liquide due au poids de l'eau.

Le navire commence ainsi à gîter sévèrement sous l'effet des tonnes d'eau déversées. Les conseils d'Hervé Le Huédé permettent de pratiquer des ouvertures qui le rééquilibrent sensiblement. Lorsque l'incendie semble éteint, vers 18 heures, il apparaît que 10 000 tonnes d'eau ont été déversées sur bâbord, dont plus de la moitié stagnent encore dans les hauts du navire. Les chaufferies restent pour leur part préservées. En début de soirée, le Lafayette semble sauvé : il s'est stabilisé, et l'on peut même embarquer pour évaluer les dégâts, qui ne sont importants qu'en apparence : le navire pourra être remis en état. C'est sans compter sur les marées : la mer se retire, puis revient, déséquilibrant le navire. À 2 h 40, il chavire définitivement.

Après le drame vient le temps des questions. La rumeur commence à faire circuler l'idée que le navire a été coulé par un acte de sabotage. Une enquête, bien vite demandée, conclut cependant le contraire : c'est bien par simple maladresse que le navire a été détruit. La Navy est blâmée pour sa gestion des événements, notamment à cause de la sécurité très relâchée qui aurait pu permettre des opérations de sabotage si l'accident ne s'était pas chargé du sort du navire. Très vite également apparaissent les premiers projets de renflouage, à la demande de Franklin Roosevelt et à une époque où les États-Unis subissent un certain nombre de revers dans la Guerre du Pacifique. Vladimir Yourkevitch sert de consultant dans le cadre de ces opérations, de même que William Francis Gibbs. Il faut de surcroît déterminer si le navire peut-être récupéré ou doit être démoli. Dans tous les cas, il faudra démonter les superstructures et cheminées qui gêneraient un redressement de la coque. Les travaux commencent donc le 20 février et se poursuivent jusqu'en mai tandis que la Transat se sépare de nombreux éléments décoratifs du navire.

Pour préparer le pompage qui devrait redresser le navire, il faut également en extraire la vase, et surtout refermer les hublots et sabords laissés ouverts lors de l'évacuation. S'engage ainsi un travail de plusieurs mois pour une équipe de scaphandriers. Le Pier 88 est également racheté par la Navy et en partie démonté pour éviter d'endommager l'arrière lorsque le redressement débutera. Les opérations de nettoyage prennent plus d'un an, et c'est à partir du 4 août 1943 que le pompage débute. Le 15 septembre, le navire est sorti de l'eau. Le 27 octobre, il est rendu à la Navy par la firme Merritt, Chapman and Scott qui l'a prise en charge, les échafaudages ayant été enlevés. Au total, le renflouement du paquebot a coûté onze millions de dollars. Cette prouesse technique permet de former des hommes à ce type d'opération, qu'ils reproduisent plusieurs centaines de fois jusqu'à la fin de la guerre.

Le navire part ensuite à Bayonne, dans le New Jersey, où un bassin de radoub l'attend pour qu'il y soit remis en état. Cependant, la coque et les machines se révèlent plus endommagées que prévu. Dans ce dernier cas, il faut en construire de nouvelles, chose problématique vu la spécificité des appareils. Par ailleurs, les chantiers navals sont très occupés par les nombreuses commandes. Début 1944, le projet est abandonné. Un maigre espoir subsiste encore : le président Roosevelt continue à défendre un projet de remise en état, car, pense t-il, la destruction du Normandie sera forcément injustifiable après la libération. William Francis Gibbs, quant à lui, propose de faire du navire un paquebot qui, en temps de paix comme en temps de guerre, surpassera les deux Queen britanniques (ce qui se fera finalement bien plus tard avec le United States). L'imminence du débarquement et la mort de Roosevelt ont cependant définitivement raison du navire. Le 20 septembre 1945, il est déclaré surplus de la Navy. Un an plus tard, alors que la France refuse de récupérer l'épave, le navire est acheté par les frères Lipsett qui obtiennent le droit de le démolir. Les opérations se déroulent du 7 janvier au 7 octobre 1947. L'opération se traduit par un profit d'un million de dollars de l'époque.