NAUFRAGE DU BRITANNIC

Mardi 21 novembre 1916

Méditerranée


La sixième et dernière traversée, également à destination de Moudros, débute le 12 novembre 1916. Le Britannic est, comme durant les voyages précédents, commandé par Charles Alfred Bartlett, commandant réputé de la White Star Line. Se trouve également à bord Violet Jessop, hôtesse rescapée du Titanic qui a par la suite raconté son aventure dans ses mémoires : elle effectue sa première traversée comme infirmière à bord du navire-hôpital. Le voyage débute sans encombre et le navire fait une escale de 48 heures à Naples, son départ étant retardé d'une journée à cause d'une tempête. Il reprend ensuite sa route à travers la mer Egée le 19 novembre.


Départs Arrivées
Voyage Villes Dates Heures Villes Dates
#6 Southampton 12 novembre 1916 14h23 Naples 17 novembre 1916
#6 Naples 19 novembre 1916 . Naufrage 21 novembre 1916


Au matin du 21 novembre, aux alentours de 8 h 12, le Britannic est victime d'une explosion entre l'île de Kéa et l'îlot de Makronissos, ce qui provoque l'ouverture d'une brèche à l'avant dans le flanc tribord. Au moment du choc, le personnel hospitalier se trouve dans la salle à manger pour le petit déjeuner. Violet Jessop note dans son récit que, contrairement à ce qui s'était passé lors du naufrage du Titanic, la prise de conscience de la situation a été presque immédiate. Pour le commandant Charles Alfred Bartlett et son commandant en second Hume, qui se trouvent alors sur la passerelle, le danger est évident.

Ayant touché les compartiments 3 et 4, l'explosion provoque également des avaries qui touchent les deux compartiments avant. Le couloir reliant la chaufferie 6 aux dortoirs commence également à s'inonder, provoquant de fait l'inondation de la chaufferie. En une ou deux minutes à peine, un volume estimé à 10 000 tonnes d'eau s'infiltre dans le navire : les soutiers et chauffeurs doivent évacuer les chaufferies avant. Pour que le navire reste à flot, il faudrait alors fermer les portes étanches situées au niveau de la chaufferie 6 mais celles-ci ne fonctionnent pas, ayant probablement été endommagées dans le choc. Cependant, les cloisons suivantes étant closes, le navire est théoriquement hors de danger. L'arrêt de mort du Britannic est signé par le fait que nombre de hublots des ponts inférieurs sont ouverts au moment du drame pour aérer le navire. De plus, le navire accuse une forte gîte sur tribord, ce qui favorise l'inondation de compartiments jusque là épargnés, par le biais des hublots.

Aussitôt, un SOS est envoyé aux navires environnants. Le croiseur HMS Scourge, alors occupé en mission de récupération d'un navire échoué après avoir heurté une mine, change sa route pour venir au secours du paquebot. C'est également le cas du HMS Heroic. Charles Alfred Bartlett, sous-estimant les dégâts (il n'est pas au courant de l'inondation des chaufferies), décide d'échouer le navire sur l'île de Kéa, et met les machines en avant toute. Il parvient également à faire virer le navire. Cependant, en faisant bouger le Britannic, il accélère l'entrée de l'eau.

Dans le même temps, le personnel hospitalier se prépare à évacuer : Charles Alfred Bartlett a donné l'ordre, en effet, de préparer les canots. Il n'a cependant pas autorisé leur mise à la mer. Chacun se précipite sur ses effets les plus précieux avant de quitter le navire. Violet Jessop prend ainsi sa brosse à dents, se souvenant que, lorsque le Titanic avait coulé, c'est ce qui lui avait le plus manqué après coup. Le révérend du navire récupère quant à lui sa Bible. Les quelques patients présent à bord sont rassemblés par le lieutenant Schakelton sur le pont des embarcations. De même, toutes les infirmières sont regroupées par le capitaine Renton sur la partie surélevée de ce même pont. Enfin, le major Priestley rassemble son détachement du Royal Army Medical Corps à l'arrière du pont A et inspecte les cabines pour vérifier que personne n'ait été oublié.

Tandis que Charles Alfred Bartlett poursuit sa manœuvre désespérée, le navire gîte de plus en plus. L'équipage commence à craindre que celle-ci ne devienne trop importante, et décide de mettre les premiers canots à la mer sans attendre les ordres. Mis au courant de l'ampleur de la situation dans les chaufferies, Charles Alfred Bartlett envisage de stopper les machines le temps de mettre à l'eau les canots, puis de tenter à nouveau d'échouer le navire. Cependant, avant même qu'il n'ait pu agir, deux canots sont mis à la mer sur le flanc bâbord. Les hélices, qui affleurent à la surface de l'eau, créent un effet de succion qui aspire les embarcations et leur passagers, qui sont broyés. Parmi eux se trouve Violet Jessop, qui réussit à sauter à temps et à s'échapper (au prix d'un violent coup sur la tête en heurtant la quille d'un canot venu à son secours). Par coïncidence, deux autres rescapés du naufrage du Titanic, Archie Jewell et George Perman, en réchappent également. Charles Alfred Bartlett, ignorant le drame, arrête finalement les hélices, sauvant par pur hasard un autre canot qui courait à sa perte. Sur les 1 125 personnes présentes à bord, 30 périssent et 45 sont blessées.



© Neil Egginton

© Neil Egginton

© Neil Egginton

© Neil Egginton

© Neil Egginton

© Neil Egginton


L'évacuation se poursuit dans un ordre plus ou moins apparent : si à bâbord, un officier parvient à maintenir une certaine discipline et à empêcher une foule de monter dans des canots qu'il serait trop dangereux de descendre, un groupe de soutiers indisciplinés prend l'initiative de partir dans un des canots du pont de poupe. D'autres comme le révérend Flemming guident de petits groupes pour les répartir dans les canots. Rapidement, le paquebot est déserté. Charles Alfred Bartlett reste cependant à bord, décidé à sauver le navire coûte que coûte : il remet les machines en avant toutes dans l'espoir d'atteindre Kéa, avant de renoncer en voyant la proue en grande partie submergée. Le dernier canot quitte le paquebot à 9 heures. Charles Alfred Bartlett est le dernier à quitter le navire, sautant du pont pour rejoindre un canot à la nage. Alors que la poupe émerge hors de l'eau, la proue touche le fond de la mer, profonde d'un peu plus d'une centaine de mètres. Un effet de levier fait alors chavirer le bateau du côté tribord et la poupe disparaît sous la surface de l'eau aux alentours de 9 h 07.

Vers 8 h 15, le destroyer Britannique HMS Scourge reçoit le SOS du Britannic. Il fait alors route vers le lieu du drame avec deux remorqueurs français. À 8 h 27, le croiseur auxiliaire HMS Heroic fait de même. Cependant, les premiers à secourir les naufragés sont des pêcheurs grecs venus de Kéa. Lorsque le paquebot disparaît sous les flots, 35 canots sont dispersés dans la zone, plus ou moins remplis. Quelques nageurs font également leur possible pour rejoindre les embarcations. Par chance, les naufragés n'ont pas, comme leurs alter ego du Titanic, à supporter le froid mortel, et aucune victime n'est à déplorer dans ces circonstances. Par ailleurs, le Britannic était équipé de deux canots à moteur qui peuvent ainsi récupérer les nageurs.

À 10 heures, le HMS Scourge aperçoit des canots et commence à les récupérer, prenant à son bord 339 naufragés. Peu avant, le HMS Heroic avait fait de même avec 494 naufragés. Les deux navires ne pouvant accueillir plus de personnes, le HMS Foxhound, un autre destroyer, prend la relève à 11 h 45. Au total, 1 036 personnes sont secourues. Les rescapés les plus sévèrement blessés ont été au préalable transférés dans les deux canots à moteur du Britannic et sont ainsi transportés jusqu'à la baie de St Nicolas au nord ouest de Kéaa. Une partie des rescapés est également transférée sur le navire de guerre HMS Duncan, où l'équipage se montre particulièrement prévenant envers les infirmières : les femmes sont habituellement interdites à bord. Des cérémonies se tiennent en l'honneur des trente victimes à déplorer. Par la suite, les survivants sont renvoyés chez eux par différents moyens, mais peu arrivent au Royaume-Uni avant Noël.

Deux des survivants ont pour point commun un destin étonnant, puisqu'ils ont servi sur les trois navires de la classe Olympic lors de leurs trois accidents. Il s'agit de Violet Jessop et d'Arthur John Priest, un chauffeur. Tous deux ont en effet servi sur l'Olympic quand celui-ci a percuté le Hawke en 1911 (seul accident qui ne se soit pas soldé par un naufrage), et sur le Titanic lors de son unique voyage. Arthur John Priest, quant à lui, sert encore durant la guerre sur l’Alcantara et le Donegal, qui sombrent également. Il ne retrouve plus de travail par la suite dans la marine.

La perte d'un navire majeur dans de telles circonstances n'est pas ignorée. L'Amirauté Britannique se montre très discrète sur le sujet et envoie rapidement une équipe sur place pour récupérer canots, gilets de sauvetage, couvertures et mêmes paquets de cigarettes liés au naufrage. Les autorités Grecques entourent également l'affaire d'un certain secret pendant plus de cinquante ans. La presse commence pour sa part à annoncer la nouvelle au bout de deux jours, non sans le flot d'erreurs et de propagande qui l'accompagne, dans ce contexte de Première Guerre mondiale.



© William Barney

© William Barney

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Ainsi, les journaux rapportent une atrocité commise par l'Allemagne, dont les sous-marins n'auraient pas hésité à torpiller un navire-hôpital transportant des milliers de blessés. Les causes du naufrage restent pourtant alors toujours incertaines, et les journaux doivent rapidement reculer sur le nombre de blessés transportés par le Britannic, mais la propagande ne s'arrête pas là. Le naufrage reste la conséquence d'un forfait des Allemands, aggravé par le fait que le navire arborait très clairement son habit de navire-hôpital. La dénonciation de la supposée barbarie Allemande est renforcée par des parallèles faits avec l'attaque de l’Asturias, autre navire-hôpital, par un sous-marin Allemand début 1915. Par ailleurs, deux jours après le Britannic, le Braemar Castle, servant dans les mêmes circonstances, coule de la même façon et au même endroit. Pour les Britanniques, il s'agit d'une véritable guerre déclarée aux navires-hôpitaux, comme le titre le Times.

Un article étonnant paraît également dans un journal local Allemand, qui semble presque être un aveu. Le journaliste y déclare en effet : « Le Britannic transportait des troupes fraîches pour nos ennemis. Si cela n'avait pas été le cas, nos sous-marins ne l'auraient bien entendu jamais torpillé. » Il s'agit cependant du seul document mentionnant clairement un torpillage, et les journaux de l'époque sont généralement tout sauf des sources fiables.

Dès l'annonce du naufrage, une question se pose : pourquoi le Britannic a t-il coulé ? Étant particulièrement occupée, l'Amirauté Britannique donne deux jours aux capitaines George Staer et Huge Heard, présents sur place, pour recueillir des témoignages et faire un rapport. Celui-ci prend la forme d'une lettre envoyée le 24 novembre, ce qui est peu de chose comparés aux nombreuses pages des rapports des commissions sur le naufrage du Titanic. La première question posée concerne la cause du naufrage : le navire a t-il sombré à cause d'une mine ou d'une torpille ? Des témoignages et indices vont dans les deux sens. Certains ont cru voir la traînée d'une torpille, mais pas la colonne d'eau qui accompagne généralement de tels chocs. D'autres rapports établissent que des mines avaient récemment été posées. La conclusion de George Staer et Huge Heard reste vague : « les effets de l'explosion peuvent être dus soit à une mine soit à une torpille. Il semble plus probable que ce soit une mine ».

Le problème n'est cependant pas là, puisque le navire était conçu pour résister à ce genre de choc. Deux facteurs expliquent alors le naufrage. Le premier est que les portes étanches n'étaient pas fermées : en effet, à 8 heures, les chauffeurs sont relevés, et celles-ci sont ouvertes quelque temps pour leur permettre d'accéder à leurs quartiers, le choc a lieu dans l'intervalle. Le deuxième facteur, qui a été fatal au navire, concerne les hublots ouverts aux ponts E et F : en gîtant sur tribord, le navire a commencé à se remplir non seulement par la brèche mais aussi par les hublots, puis l'eau a pu, depuis ces ponts, redescendre dans les ponts inférieurs, continuant à alourdir le navire et donc à offrir de plus en plus d'orifices permettant le remplissage dans une réaction en chaîne.

La thèse du projectile explosif seul est remise en question lorsque Jacques-Yves Cousteau découvre l'épave en 1975. En effet, au vu de ce qu'il constate, il en déduit qu'une explosion, venue de l'intérieur, a dû condamner le navire suite à la collision, explosion qu'il attribue à un coup de grisou. Le Titanic avait connu pareil incident du 2 au 13 avril 1912 quand un incendie s'était déclaré dans la soute à charbon N° 6. Cependant, cette hypothèse est totalement démontée lorsqu'en 1999, il est avéré que les soutes à charbon sont intactes. Les possibilités d'une explosion causée par le matériel médical, ou par des armes transportées secrètement, ont également été évoquées, sans qu'aucun élément concret ne les appuie. Par ailleurs, le navire étant couché sur son flanc tribord, l'étendue des dégâts est difficile à évaluer. Finalement, la découverte ultérieure de plusieurs ancres de mines dans le voisinage de l'épave laisse peu de place au doute.



© Shane Prendergast

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