Berthe
LEROY BOURLARD

(10-08-1884 - 04-07-1972)


RESCAPÉE DU TERRIBLE DRAME DE LA MER DU 15 AVRIL 1912

Mme BOURLARD raconte la véritable histoire du naufrage du "Titanic"


Mme Berthe BOURLARD habitait Béthune dans le Pas-de-Calais lors de la diffusion du Film Titanic.

En ce dimanche 29 mai 1965 elle revécu alors un souvenir qui hante sa mémoire depuis maintenant cinquante quatre ans : elle se trouvait à bord du Titanic en cette nuit fatale du 14 au 15 avril 1912 quand il sombra entraînant dans la mort des centaines de passagers.
Mme BOURLARD demeure l'une des rares personnes au monde à pouvoir porter un témoignage vécu et direct sur cette effroyable tragédie.

Une jeune gouvernante autour du monde

Mme BOURLARD naquit le 10 août 1884 à Hersin-Coupigny près de Béthune, dans une modeste famille de mineurs, les LEROY. Jeune fille, elle fut placée à Paris chez de riches industriels :
- Un jour raconte-t-elle, la femme d'un richissime Américain, Mme Walter DOUGLAS, me remarqua et me demanda si j'accepterais de l'accompagner comme gouvernante. Elle désirait en outre, perfectionner son français. J'acceptais avec joie, c'était pour moi jeune fille d'humble condition, une chance inespérée de découvrir le monde...


La vie brillante à bord de l'insubmersible

Après l'escale de Southampton, une vie brillante et luxueuse commença. Mes patrons assistèrent aux très nombreuses fêtes, réceptions, bals et dîners donnés en l'honneur des passagers de haut rang ou fortunés.
Pour ma part, j'occupais avec une jeune femme, une très belle cabine. La navigation était tranquille et l'on se souciait si peu des icebergs, qu'au moment du naufrage, beaucoup assuraient encore que le Titanic étant insubmersible, il n'y avait aucun danger...
Et pourtant ! En cette nuit d'avril, le grand paquebot heurtait un monstrueux iceberg qui le blessait à mort. Selon certains, la secousse fut à peine perceptible. Pour sa part, Mme BOURLARD affirme avoir entendu un grand bruit sourd :
- J'ai cru à un orage, je dormais, ma compagne lisait. M. et Mme DOUGLAS assistaient à une réception. Nous ne nous sommes pas beaucoup inquiétées. Soudain, pourtant, la lumière s'est éteinte.

Un matelot entra en trombe. Il nous cria en nous jetant une ceinture de sauvetage : Tout le monde dehors, nous sombrons !
J'enfilais une jaquette par dessus ma combinaison, et faute de lumière, je ne pus trouver qu'une seule pantoufle.
Nous sommes sorties, mais dans la cabine voisine de la nôtre, les passagers eux ont refusé, persuadés qu'il ne s'agissait que d'une fausse alerte.
Berthe LEROY - elle n'épousera qu'en 1929 aux Etats-Unis, Gaston BOURLARD un ami d'enfance né lui aussi à Hersin - partageait la même confiance, mais le navire prit rapidement de la gîte et piqua vers l'avant.
Elle erra un bon moment dans les couloirs obscurs, guidant sa marche sur les plaques fluorescentes des cabines. Elle ignorait où se trouvaient ses patrons.
Plus tard seulement, elle apprit que Mme DOUGLAS avait réussi à prendre place dans un canot. Quant à son mari, refoulé avec les autres hommes, il se jeta à l'eau et mourut noyé.


Cinquante femmes et enfants à bord d'un canot

J'arrivais sur le pont, poursuit Mme BOURLARD, au moment où le navire s'apprêtait à sombrer. Je crois bien que je fus l'une des dernières à le quitter.
Nous nous retrouvâmes une cinquantaine à bord d'un canot, rien que des femmes et des enfants, à l'exception d'un matelot qui dirigeait la barre.
Des hommes s'accrochaient désespérément à la barque prête à chavirer. C'était horrible... Je me souviens qu'au moment de quitter le navire, l'eau grimpait à toute vitesse sur le pont. Des gens criaient au secours, des enfants hurlaient de peur.
Je n'ai pas entendu l'orchestre jouer Plus près de toi mon Dieu. On me l'a affirmé plus tard en Amérique. Mais depuis je possède une partition de cette hymne.

Berthe LEROY et ses compagnes ramèrent toute la nuit :
- Autour de nous surnageaient une multitude d'épaves et de cadavre.
Dans les canots, des femmes criaient : Priez Dieu.
D'autres leur répondaient : No hope - Pas d'espoir !
Je pensais à ma mère que je ne croyais plus revoir...
La nuit était calme et claire. Le Titanic sombra sans remous, sans tourbillon, on distinguait nettement le gigantesque iceberg, sorte d'immense cathédrale bleutée, qui dominait de sa masse le lieu de la catastrophe.

A l'aube enfin, le Carpathia arriva et nous recueillit à son bord.
Sur le Carpathia, on réconforta tant bien que mal les rescapés transis de froid et à bout de forces.


Pendant des nuits, d'horribles cauchemars...

Pendant les nuits qui suivirent, confie Mme BOURLARD, j'ai fait d'horribles cauchemars. Je rêvais que je ramais dans une sorte de boue noire et gluante, dont je n'arrivais pas à me dégager. Pendant de longues années, Mme BOURLARD est demeurée auprès de Mme DOUGLAS, qui ne se remit jamais de la mort de son mari. Elle se retira définitivement à Béthune dans sa petite patrie artésienne qu'elle n'avait jamais oubliée, où elle vécu paisiblement après avoir passé un demi-siècle aux Etats-Unis.

La nuit du Titanic non plus, n'a pas quittée sa mémoire.
A la tête de son lit se trouve un gravure de Willy STOWER montrant le grand paquebot dans toute son éphémère splendeur.
En dessous, Mme BOURLARD a tracé de sa main en français et en anglais ces quelques lignes : Heures tragiques et inoubliables dont je me rappellerai jusqu'à mon dernier jour. C'est bien par la grâce de Dieu que j'ai échappé à ce grand désastre, étant l'une des dernières à quitter le navire qui allait sombrer...

Article de Gérard COUCKE.